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Entretien avec Tomás Hirsch, au forum de Paz Ciudadana (Paix citoyenne), à propos de la délinquance

Santiago du Chili, Casa Piedra, le 11 juillet 2005

A votre avis, quelles devraient être les priorités en matière de prévention de la délinquance dans les prochaines années ?

Habituellement, qu'on le reconnaisse ou non, on se contente de voir le problème de la délinquance avec une vision complètement erronée. Dans le fond, c'est le point de vue naturaliste qui s'applique, celui qui considère l'être humain comme violent par essence ; cette violence faisant partie de son "naturel". Depuis ce regard, la seule réponse possible face à ce problème est l'augmentation de la répression et des moyens de punition contre les délinquants. Cette vision implique que si l'origine de la violence humaine est de type biologique ou génétique, comme semble le croire certains dirigeants, il ne peut y avoir d'autres réponses que la répression et la punition.

Nous affirmons que ce type de solution a échoué. La réponse répressive ne résout pas le problème de la violence sociale, dont la délinquance est une des manifestations. Tout au plus, cela déplace le problème. Comme dans le cas du tube de dentifrice, on augmente le contrôle dans un secteur et le problème se déplace ailleurs, pour finir par affecter essentiellement les quartiers périphériques où l'on ne peut compter sur la protection policière. Nous pouvons supposer que cela permettra d'incarcérer les délinquants, transférant ainsi le problème aux prisons. Nous savons bien ce qui arrive dans ces lieux, alors comment croire que cela est une solution réelle. En somme, on ne peut combattre la violence sociale par plus de violence.

Il faut assumer humblement l'échec du modèle répressif et du regard depuis lequel s'articule ce type de réponse. On a échoué parce que l'on attaque les symptômes au lieu d'attaquer la maladie ; on traite les conséquences pas les causes. Il se produit la même chose, par exemple, avec le thème de la drogue : on voit des campagnes alarmantes pour faire diminuer la consommation, mais personne ne se demande pourquoi la nécessité de consommer a surgi.

Si nous sommes d'accord avec l'échec de la solution répressive, que pouvons- nous dire à propos de la violence sociale et de la délinquance ?

Nous disons que le plus difficile n'est pas de voir comment contrôler ou réprimer. Le chemin est prévisible : il se terminera par une société fasciste et ultra policière ou par la loi du Talion. Probablement éliminerons-nous la délinquance avec ces méthodes, au moins pour un temps, mais est-ce le type de société dans laquelle nous aimerions vivre ?

La complexité se trouve dans la compréhension des causes de cette violence et de la délinquance. Nous pourrons résoudre correctement ce problème uniquement en l'attaquant à la racine.

Pour nous, la violence n'est pas un élément de la nature humaine. Cela est davantage lié avec le comportement des personnes, avec le milieu culturel dans lequel elles vivent, qu'avec une supposée "nature". Nous affirmons, avec entière responsabilité, que la racine de ce problème est en rapport avec le fait que le modèle de société dans lequel nous vivons se construit sur la base d'une culture de la violence, institutionnalisant la concurrence impitoyable, l'individualisme féroce et la domination du plus fort, comme si la société humaine était un écosystème naturel de plus.

Dans un pays caractérisé par l'inégalité d'accès à la santé, à l'éducation, au logement et au travail ; dans un pays où la redistribution des ressources est l'une des plus pauvres du monde ; dans un pays où 80% de la jeunesse (plus de deux millions) n'ont pas le droit de vote par restriction de la loi électorale ; dans un pays où les décisions ne sont prises que par ceux qui possèdent l'argent ; dans un pays où une partie importante de la population n'a pas accès à la représentativité parlementaire ; dans un pays où les habitants sont asphyxiés par les dettes, multipliées par des intérêts usuriers qui seront sans aucun doute encaissés, on peut affirmer que la délinquance est un mode d'explosion sociale provoquée par le système politique, économique et judiciaire actuel, qui privilégie une minorité qui s'est approprié la richesse et le pouvoir politique de la nation.

C'est pour toutes ces raisons que notre priorité repose sur le changement du système politique et économique, qui a poussé notre pays au débordement social, à la délinquance, à la corruption et au trafic de drogue. Dans cette analyse, il ne faut pas sous-estimer la sourde violence familiale et la discrimination sociale, ethnique et sexuelle que nous vivons.

En résumé, la violence sociale et la délinquance ne trouveront pas de solution dans le cadre d'un système qui promeut une forme de relation sociale violente, de façon manifeste ou larvée. Le changement devra être structurel. Nous devons être capables de construire une société qui réhabilite les valeurs humaines et non les anti-valeurs qui imprègnent notre pays.

Du point de vue du contrôle de la délinquance, quels secteurs devraient être renforcés ?

Comme je le disais précédemment, la précarité de l'emploi, les salaires misérables et le chômage, sont des formes de violence sociale, peut-être plus sophistiquées, mais tout aussi brutales que celle utilisée par un voleur avec un couteau. Dans ce contexte social, les enquêtes démontrent que la délinquance ne peut être contrôlée, qu'elle est hors de contrôle et que l'augmentation des moyens répressifs mènent à une voie sans issue. Nous ne croyons pas aux politiques de sécurité importées, qui assurent de faire baisser la criminalité alors qu'explosent là-bas des bombes dans les immeubles et dans les bouches de métro. Nous écartons les programmes de type "Tolérance zéro", "Quartiers sécurisés", "Trois grèves et tu es viré" et autres positions de ce style. Nous pensons aussi que la diminution de l'âge de la responsabilité pénale, la peine de mort ou l'amputation de mains, augmentent le problème.

Il nous semble que la première chose à faire pour contrôler sérieusement la délinquance est de générer des conditions sociales plus justes, de sorte que les personnes n'auront plus besoin de commettre de délits pour assurer leur survie et celle de leur famille. Lorsque quelqu'un, par nécessité vitale, franchit ce point de non-retour, il ne peut plus revenir en arrière et, par conséquent, il entre dans une spirale de délinquance, chaque fois plus grave. Pour cela, les premières mesures que devrait prendre un Etat responsable, viserait nécessairement à diminuer drastiquement la fracture entre riches et pauvres. La marginalité sociale est le principal bouillon de culture de la délinquance.

Le second moyen structurel que nous envisageons consiste à créer des conditions qui enrayent l'exclusion, spécialement des générations les plus jeunes qui se sentent aujourd'hui forcées d'intégrer un système qui ne leur plaît pas et qu'ils voudraient changer. Mais ils ne peuvent le faire, car ils sont volontairement exclus des prises de décisions par les générations antérieures qui détiennent le pouvoir. Ils font alors de cette exclusion une valeur et génèrent des sous-cultures (et contre-cultures) qui se radicalisent chaque fois plus. Un Etat responsable doit donner à la jeunesse la possibilité de se convertir en authentique protagoniste du pays auquel elle aspire pour le futur. Cela ne se produira que si la pratique de la démocratie actuelle est modifiée, afin de permettre une plus grande participation. Cela passe, en tout premier lieu, par l'élaboration d'une nouvelle Constitution, qui remplace l'actuelle, qui est, comme nous le savons tous, profondément antidémocratique.

Il ne s'agit pas seulement de participer : les jeunes veulent décider. Nous ne voulons pas qu'ils se convertissent en un facteur de violence sociale. Que voulons-nous ? Qu'ils participent, mais seulement dans les limites qui intéressent ceux qui ont le pouvoir ? Pas au-delà ? C'est, pour le moins, désinvolte.

Il est aussi important, bien sûr, de professionnaliser la police, de la rapprocher des citoyens et de promouvoir la participation citoyenne aux plans de prévention de la délinquance, en faisant en sorte, par exemple, que les voisins ré-investissent les lieux publics. Il convient également d'affecter les ressources suffisantes pour appliquer des politiques de réelles réhabilitations et intégrations sociales de ceux qui ont commis des délits. Cela n'est évidemment pas fait aujourd'hui. On continue de parler et de parler de ce thème, alors que les possibilités de réelle réhabilitation, simplement, n'existent pas. Une justice rapide et transparente doit être nécessairement fortifiée. En cela, il y a une importante avancée au travers de la Réforme de la Procédure Pénale, aujourd'hui en vigueur dans tout le pays.

Mais aucun de ces moyens ponctuels et spécifiques ne peuvent éluder l'analyse structurelle à faire pour déterminer les causes profondes de la violence sociale. Il est nécessaire d'ouvrir la discussion sur le modèle de société dans laquelle nous voulons vivre. La délinquance est la forme de violence la plus grossière et la plus évidente mais elle côtoie d'autres modes de délinquance institutionnalisée. L'exploitation de l'homme par l'homme n'est-elle pas aussi une forme de délinquance ? Et la négation des droits ancestraux des peuples d'origines ? Et empêcher l'accès à la santé, à l'éducation ou à un revenu équitable pour une grande partie de notre peuple ?

Ne soyons pas hypocrites : si nous sommes d'accord que la délinquance est mauvaise, nous devons être cohérents et pousser cette conviction jusqu'à ses ultimes conséquences, en éliminant de notre vie toutes les autres formes de violence sociales qui existent aujourd'hui.

Quelle institution pourrait impulser les initiatives que vous proposez ?

Jusqu'alors, nous n'avons pas été capables de construire une société pleinement humaine, c'est-à-dire une société où le pouvoir serait entre les mains du "tout social", et non entre celles d'une minorité (soumettant et objetisant l'ensemble) ; une société dans laquelle la violence serait la plus mauvaise façon de réaliser toute activité sociale. La caractéristique essentielle de ce système inhumain et violent, dans lequel nous vivons aujourd'hui, consiste en la prédominance d'une minorité sur le "tout social". Nous n'allons donc pas interroger les différentes formes institutionnelles de concentration du pouvoir, aux travers desquelles s'exerce cette domination et se perpétue la violence.

Le système institutionnel que nous proposons implique des changements profonds et radicaux, parce que la violence et la délinquance ne sont pas un simple effet indésirable qui pourra s'éliminer en maintenant les choses en l'état. Ces fléaux disparaîtront quand nous serons capables de construire un type de société dans laquelle disparaîtront l'injustice et l'exploitation.

Pour cela, nous proposons d'avancer vers une forme effective de déconcentration du pouvoir politique, transformant la démocratie formelle représentative, pratiquée aujourd'hui, en une démocratie réelle, vraiment participative. Aujourd'hui existent toutes les conditions technologiques nécessaires pour organiser des plébiscites, des référendums (qui n'ont évidemment rien à voir avec les simulacres grotesques que propagent les maires de la UDI) et des lois d'initiative populaire. L'objectif de cette conception est de transférer le pouvoir de l'Etat à la base sociale, aux communes, aux quartiers, et non pas de le remplacer par un pouvoir concentré et sans doute plus pervers, comme l'est le para-Etat actuel, aux mains du pouvoir financier.

Nous proposons également une réforme administrative qui favorise une décentralisation effective du pays ; qui donne une autonomie politique et économique aux régions, avançant vers une république confédérale. L'actuel schéma centralisé, pour la prise de décision, est quelque chose qui ne peut résister plus longtemps et la discussion incompréhensible de son maintien pourrait générer, dans un futur très proche, des problèmes beaucoup plus graves.

Pour la question économique, nous proposons d'explorer de nouvelles formes de propriété des moyens de production, qui restreignent la concentration excessive du pouvoir économique. Tel est le cas des entreprises "propriétés des travailleurs", dans lesquelles le travail acquiert un statut égal à celui qu'à aujourd'hui le capital. Dans ce modèle de propriété, les travailleurs pourront participer à la gestion, à la prise de décisions et accéder aux bénéfices de l'entreprise, à des conditions égales à celles du capital, transformant la relation absurde qui existe, historiquement, entre ces facteurs de production. Nous pensons que peuvent parfaitement co-exister la propriété privée et d'autres formes de propriété, comme celle que nous proposons.

Le système institutionnel que nous proposons est essentiellement décentralisé, à l'inverse de celui en place, qui tend à la concentration des pouvoirs politiques et économiques. Probablement, et peut-être avec raison, beaucoup douteront de l'efficacité de ces profonds changements institutionnels, pour contrôler un problème aussi spécifique que la délinquance. Avec l'affaiblissement des structures autoritaires, ne risque-t-on pas de voir la délinquance ne pas diminuer, allant ainsi tout droit vers le chaos ? C'est un doute raisonnable : nous pensons que nous devons compter sur un changement très profond de l'être humain pour qu'une organisation sociale de ce type fonctionne. Nous pensons que ce changement passera probablement par une perception plus nette de l'humanité de l'autre et par un respect inaliénable de sa liberté. Mais ce saut qualitatif, auquel ne nous a pas amené l'histoire, est l'unique chemin possible. L'autre, celui de l'augmentation " infinie " du contrôle social, est une solution illusoire qui nous destine à un profond et irréversible chaos pour longtemps.

Dans ce carrefour historique, il y a seulement deux options possibles : ou nous assumons les risques et nous effectuons un saut vers l'avant, intégrant de manière décidée le futur ; ou nous nous laissons aspirer dans une spirale de décadence douloureuse et destructive, comme cela s'est produit dans les civilisations antérieures. Ce que nous décidons aujourd'hui déterminera la direction que nous suivrons.

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