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Le Nouvel humanisme

Conférence du Dr Salvatore Puledda

CONFÉRENCE DONNÉE À LA SORBONNE
par le Docteur Salvatore Puledda
le samedi 29 mai 1999 en l'amphithéâtre Descartes

Le Docteur Salvatore Puledda

français
italiano
español

Qu'est-ce que le Nouvel Humanisme ?

Je remercie les amis du Mouvement Humaniste français d'avoir organisé cette conférence, ainsi que vous tous ici présents. Je remercie également les autorités académiques de La Sorbonne de m'avoir permis de présenter les idées fondamentales du Nouvel Humanisme dans cet amphithéâtre Descartes, lieu symbolique de la culture européenne.
C'est dans cette salle que, les 23 et 25 février 1929, Edmond Husserl donna deux conférences intitulées Introduction à la phénoménologie transcendantale. Il voulait expliquer au public français le sens et l'essence de sa philosophie. C'est connu, ces conférences revues et augmentées par l'auteur furent publiées en 1931 sous le titre de Méditations cartésiennes. Dans cette œuvre, Husserl approfondit les thèmes de la subjectivité transcendantale et du rapport de celle-ci avec le monde et les autres subjectivités. Il renoue ainsi le fil du discours commencé trois siècles auparavant par Descartes dans ses Méditations.
Je me suis permis d'évoquer cet événement, car la pensée du Nouvel Humanisme doit beaucoup à la phénoménologie husserlienne, non seulement en ce qui concerne nombre de ses idées mais surtout en ce qui concerne sa méthode d'investigation philosophique, mais cela deviendra clair avec la suite de mon exposé. On pourrait même dire que, par certains aspects, le Nouvel Humanisme constitue une application de la méthode phénoménologique au champ de la psychologie et de la sociologie, lesquelles sont encore aujourd'hui dominées par un ensemble d'idées de type naturaliste du 19e siècle.
Mais venons-en aux contenus de cette conférence. Avant tout, je chercherai à présenter les aspects principaux de mon ouvrage, Interprétations de l'Humanisme, ainsi que les motivations qui m'ont poussé à l'écrire, et les quelques conclusions auxquelles j'ai abouti au terme de mon investigation historico-philosophique. Ceci servira de préalable pour comprendre le sujet de cette conférence qui cherche au fond à répondre aux questions suivantes : qu'est ce que le Nouvel Humanisme ? Quel est le sens de son apparition dans l'arène philosophique et politique ? Quelles sont ses conceptions fondamentales de l'être humain et de la société ? Quelles sont ses réponses à la situation de crise généralisée que nous vivons ? Et quelles sont ses propositions pour la construction d'une civilisation globale en ce nouveau millénaire. Je m'efforcerai d'utiliser le plus possible un langage simple, cependant je suis conscient que ce choix puisse nuire à la précision des idées que je vais exposer. Je m'en excuse par avance.
En premier lieu, nous pouvons nous demander : pourquoi parler d'Humanisme aujourd'hui ? Quel sens cela a-t-il de nous occuper de ce thème ? Avant de répondre à ces questions, il est nécessaire de clarifier la signification de ce mot dans le langage actuel. Si nous y réfléchissons un peu, nous arrivons à la conclusion que le terme humanisme indique de nos jours une attitude générique, une disposition à se préoccuper de la vie humaine ; cette vie humaine qui est assaillie par tous les problèmes que posent l'organisation sociale, le développement incontrôlé de la technologie, et le manque de " sens ". Mais avec une signification si vague et si indistincte, le terme peut-être entendu des façons les plus diverses et contradictoires. Ainsi pour parler d'humanisme correctement, il est nécessaire de reconstruire de façon précise les multiples interprétations que le mot a eu dans l'histoire - au moins les interprétations les plus importantes. Et il est nécessaire d'expliquer pourquoi on en est arrivé à cette indétermination de sa signification.
Mais pourquoi se lancer dans cette investigation qui devrait être laissée aux spécialistes de l'histoire de la philosophie ou de la culture ? Quelle importance cela peut-il avoir pour nous hommes du commun. Cela est important car en y regardant bien, chaque interprétation de l'humanisme nous parle - explicitement ou non - de quelque chose qui nous intéresse tous en tant qu'êtres humains. En fait, chaque interprétation de l'humanisme est aussi une interprétation de l'essence humaine, la construction d'une conception de l'homme et un discours sur qui sont ou que sont les êtres humains. Bref, étudier les diverses interprétations de l'humanisme dans la culture européenne - de la fin du Moyen-âge jusqu'à aujourd'hui - a signifié étudier les différentes images que l'homme européen a construit de lui-même durant ces six cent dernières années. Réaliser cette investigation fut comme entrer dans une galerie de miroirs qui renvoyaient une image toujours nouvelle d'un objet unique : l'homme. Mais l'expérience fut plus complexe, car cette image protéiforme, mobile comme du mercure, entraînait également dans sa transformation le paysage dont elle émergeait. En effet, l'être humain vit toujours dans un monde naturel dont l'image est nécessairement liée voire corrélative à celle qu'il construit de lui-même. C'est comme si les traits, les tons, les caractères qu'il retrouve en lui s'étendaient à la nature et la modelaient . En outre, l'apparition d'une nouvelle image montrait toujours la fin d'une époque et l'élan vers la construction d'une nouvelle culture. A l'inverse, la crise d'une image établie pouvait être considérée comme un des indicateurs les plus fidèles de la crise de la culture à laquelle elle appartenait. Pendant un temps, l'ancienne et la nouvelle conception luttaient pour la suprématie et leur conflit pouvait sortir des milieux philosophiques pour rejoindre la rue.
Rien n'illustre mieux cela que la crise du monde médiéval et l'apparition, en Italie, du premier humanisme européen, celui de la renaissance. Les premiers philosophes de l'humanisme, comme Manetti, Valla, Alberti, Pic de la Mirandole s'efforcent tout autant de démolir la conception de l'homme et du monde propre à la chrétienté médiévale que d'en construire une image nouvelle. Le monde médiéval a dans l'idée que l'essence humaine est mauvaise, dégradée par le péché originel ; le monde d'ici bas est une vallée de larmes que l'on a juste envie de fuir, l'homme ne peut rien pour lui-même sinon espérer la grâce et le pardon d'un dieu lointain aux desseins insondables. Les premiers humanistes opposent à cette conception l'idée que l'homme est digne et libre, et même, qu'il est " un grand miracle ", un infini qui est au centre de l'univers et en reflète toutes les propriétés . D'autre part, l'univers n'est pas le piège qui emprisonne les âmes dans le péché, il n'est pas non plus une simple matière inanimée, il est un être vivant et beau qui, tout comme l'homme, sent et vibre. L'univers est un macro-anthrope et l'homme qui en est la synthèse - c'est à dire un microcosme - est la clé qui permet de le comprendre. Mais l'idée la plus radicale que l'humanisme de la renaissance nous a transmis, et qui parvient jusqu'à ce siècle (avec Heidegger et Sartre), est que l'être humain n'a pas une nature ; c'est-à-dire qu'il n'a pas une essence fixe, déterminée une fois pour toutes, comme c'est le cas pour les animaux, les plantes, les minéraux, soit tous les autres êtres naturels. L'être humain se caractérise par l'absence de conditions, c'est un être libre qui s'autoconstruit, qui est ce qu'il a fait de lui-même . Il se situe au point moyen de l'échelle de l'être et peut, par ses actions, soit s'abaisser au rang de l'animal ou de la plante soit s'élever vers un niveau de conscience plus haut, celui de l'homme supérieur, celui du sage. C'est l'idée centrale qui apparaît dans le Discours sur la dignité de l'homme de Pic de la Mirandole, ouvrage qui constitue un véritable manifeste de l'humanisme de la renaissance.
Mais la percée de cet humanisme s'épuise déjà dans la première moitié du 17e siècle, et l'image de l'homme comme centre et métaphore du monde, cette image que la peinture de l'époque nous a transmise sous d'innombrables versions se dissout. Avec l'âge de la Raison, puis avec les Lumières commence la création de l'image moderne qui apparaîtra dans toute sa clarté au 19e siècle. Il s'agit alors d'une image double, hybride, une sorte de monstrum, dans l'acception latine du mot désignant un être aux membres disproportionnés et provenant d'espèces différentes. En effet, d'une part l'homme perd son centrisme et sa spécificité dans le monde et il tend à se transformer en un phénomène purement naturel : son essence est pensée dans la dimension zoologique ou purement matérielle ; il devient l'expression d'un arrangement particulier de certaines structures moléculaires sujettes aux lois inflexibles et aveugles du déterminisme physique. D'autre part, par une étrange torsion de la pensée, cet être se trouve dans un courant ascendant d'évolution et de progrès, il est porteur d'une charge de liberté et de rationalité avec laquelle il doit transformer la nature et la société en les réordonnant à son image. La nature qui, à la Renaissance, était comme traversée par un subtil réseau de forces psychiques, se dépouille de son âme, l'anima mundi ; soumise au règne de la quantité, cette nature se transforme en pure matière qui d'un côté doit être travaillée et transformée et de l'autre évolue par une mystérieuse dynamique interne vers des formes toujours plus parfaites.
Cette image double de l'être humain - à moitié figure prométhéenne portant la lumière du progrès, et à moitié robot, machine biologique - traverse une grande partie du 19e siècle. On peut déjà en observer certains traits dans la pensée de Feuerbach, que lui-même définit comme un humanisme. Pour Feuerbach, l'homme est un être purement naturel, matériel, dont le seul horizon est la vie terrestre. Mais pour progresser sur cette terre, l'humanité doit se libérer des superstitions religieuses, elle doit se réapproprier tous les attributs de perfection qu'elle avait naïvement transférés, en s'y aliénant, à la divinité. Attributs qui en réalité appartiennent à l'essence humaine. Chez Comte, l'image se fait plus claire. Pour cet auteur, la Science doit prendre la place occupée par la religion, et l'utilisation de la méthode scientifique doit être étendue du champ de la nature à celui de la société. De cette manière, l'humanité clarifiera les lois qui sous-tendent la politique, l'économie, et la morale - encore sujettes à la superstition et aux préjugés - et pourra passer ensuite au stade " positif " de son évolution dans lequel l'organisation sociale est basée sur la raison scientifique. Alors la foi en un dieu disparaîtra et la " Religion de l'Humanité " surgira, dans laquelle l'idée de divinité est précisément substituée par celle d'humanité. C'est par ces voies qu'au cours du 19e siècle apparaît ce phénomène singulier que Foucault appelle la " théologisation " de l'homme . Cette théologisation a sa racine dans la perte de foi dans le dieu chrétien. Avec la mort de dieu et l'avancée de la foi en la raison et en la Science, l'homme moderne finit par s'approprier les caractéristiques de la divinité qui disparaît. Ce transfert ne concerne pas l'individu particulier, dont la problématique est généralement ignorée par la pensée de l'époque, mais il concerne la totalité du genre humain. Ainsi naît le grand mythe eschatologique du Progrès de l'Humanité selon lequel grâce à la connaissance scientifique de soi, c'est à dire grâce à la biologie, la physiologie et les sciences humaines alors naissantes (psychologie, sociologie, anthropologie...), l'homme réussirait à se libérer de ses déterminations et de ses aliénations pour finalement devenir libre et autonome, maître de lui-même. Mais comme Foucault l'a encore observé, après avoir tué dieu, l'homme doit rendre compte de sa propre finitude et expliquer comment il peut être à la fois sujet de la connaissance et objet du connaître ; il doit expliquer comment il peut, en tant qu'individu limité et conditionné, construire empiriquement, morceau après morceau, les sciences de sa propre vie sans posséder depuis toujours à l'intérieur de lui-même, ce fondement du savoir que seule peut légitimer la recherche sur soi.
Cette sorte d'humanisme naturaliste trouve, dans la première partie de notre siècle, une nouvelle formulation avec le Humanist Manifesto, inspiré des idées de Dewey. Il s'agit d'un texte extraordinairement optimiste sur les destins de l'humanité qui a été publié en 1933, c'est à dire en pleine ascension du nazisme. Il faut également dire que l'image de l'homme sur laquelle se fonde cet humanisme s'est presque inscrite au niveau prédialogique - dans la conscience de l'Occident -quand bien même elle était double, circulaire, intimement contradictoire. En fait, cette image a fini par faire partie du substrat formé par les vérités sociales inconscientes - ces vérités sur lesquelles, à l'intérieur d'une culture, on est à priori d'accord et que l'on ne remet jamais en question, tout comme l'on ne remet pas en question que la terre est ronde. Seule une tragédie collective aux dimensions de la deuxième guerre mondiale a pu produire une secousse assez forte pour faire émerger cette couche quasi ensevelie et l'exposer à la discussion et à la critique. C'est en effet dans les années suivant cette seconde guerre mondiale que se rallume le débat philosophique sur comment doit être pensée l'essence humaine et sur la signification de l'humanisme. Le débat commence en France, mais s'étend rapidement à une grande partie de l'Europe.
En 1946, Sartre publie l'essai " L'existentialisme est un humanisme ". Dans cet essai, il s'efforce de reformuler sa propre philosophie comme une doctrine humaniste qui voit en l'homme et dans sa liberté la valeur suprême. En même temps, il invite à l'engagement militant dans la société et à la lutte contre toute forme d'oppression et d'aliénation. Une doctrine ainsi structurée allait servir de base à la construction d'une nouvelle force politique, à l'ouverture d'une " troisième voie " entre le parti catholique et le parti communiste qui de leur côté se réclamaient de doctrines humanistes. Ainsi dans la France d'après guerre, on assiste au conflit entre trois formulations différentes de l'humanisme, trois conceptions différentes de l'essence humaine. Mais ce conflit ne se limite pas aux seuls milieux philosophiques ; à travers les partis politiques qui s'inspirent de ces trois doctrines en lutte, ce conflit descend dans la rue, entraînant et passionnant de vastes couches de la société, comme cela eut lieu en Italie à l'époque de la Renaissance
Pour Sartre, l'être humain n'a pas une essence déterminée, fixe. L'être humain est fondamentalement une existence lancée dans le monde et qui se construit à travers le choix. La caractéristique fondamentale qui le fait " humain ", c'est à dire différent de tous les autres êtres naturels, est justement la liberté de choisir et de se choisir, de se projeter, de se faire. Par conséquent, l'homme cesse d'être " humain " lorsqu'il refuse cette liberté et adopte la conduite que Sartre appelle " mauvaise foi ", c'est à dire lorsqu'il se replie sur des comportements acceptés et codifiés, sur la routine des rôles et des hiérarchies sociales.
Dans l'humanisme chrétien, comme le formula son créateur, Maritain, dans la première partie de ce siècle, l'essence humaine se définit uniquement par rapport à Dieu : l'homme est " humain " parce qu'il est fils de Dieu, parce qu'il est immergé dans l'histoire chrétienne du Salut. Ainsi, l'homme cesse d'être véritablement " humain " quand il refuse la paternité divine et l'obéissance à la loi que Dieu, dans son amour, lui a imposée.
Pour Marx, l'homme est d'un côté un être naturel, comme l'entendait Feuerbach, d'un autre côté il possède une spécificité qui le rend " humain ". Cette spécificité est la " sociabilité ", c'est à dire la tendance à former une société. Il va plus loin, pour lui, l'essence humaine ne réside pas dans l'individu, mais dans la collectivité sociale, tout comme l'essence de l'abeille ou de la fourmi ne réside pas dans chaque animal, mais dans la ruche ou dans la fourmilière. C'est dans la société que l'homme, grâce à son travail avec d'autres hommes, assure la satisfaction de ses besoins naturels et transforme la nature en une chose qui se rapproche de plus en plus de lui même, en quelque chose de plus en plus humain. Et l'homme cesse d'être " humain " lorsque sa sociabilité naturelle est niée, comme c'est le cas dans la société capitaliste où son travail lui est soutiré au bénéfice d'une minorité.
En 1947, Heidegger intervient dans ce débat, sollicité par un philosophe français qui lui demande comment rendre son sens au mot " humanisme ", sens qui s'était perdu dans la dispute de tous ces prétendants. Dans un texte célèbre, la " Lettre sur l'humanisme ", Heidegger analyse les différentes conceptions de l'essence humaine, formulées par les différents humanismes, anciens et modernes ; il retrouve en toutes un présupposé tacite commun qui n'est pourtant jamais soumis à l'investigation ou à la critique. Ce présupposé, que tous les humanismes acceptent implicitement, est que l'être humain répond à l'ancienne définition d'Aristote, c'est à dire qu'il est un " animal rationnel ". Généralement, personne ne doute de la première partie de la définition c'est à dire de " l'animal ", alors que le " rationnel " devient selon les différentes philosophies l'intellect, l'âme, l'esprit, la personne, etc.. Certes, dit Heidegger, on affirme ainsi quelque chose de vrai à propos de l'être humain, mais son essence est pensée de façon trop étroite. L'essence humaine est pensée à partir de " l'animalitas " et non à partir de " l'humanitas ", l'homme étant ainsi réduit à un être naturel, à un phénomène zoologique et finalement à une chose. De cette façon, on oublie le point fondamental, c'est à dire que l'être humain n'est pas un " quoi ", un être quelconque, mais un " qui " qui se pose la question de l'essence des êtres et de sa propre essence. Avoir réduit implicitement l'être humain à un être quelconque, à une chose, a provoqué l'appauvrissement des humanismes traditionnels et leur échec historique. La racine du nihilisme et de l'élan éminemment destructeur de la société technologique actuelle se trouve aussi dans cette réduction de l'être humain à une chose. Pour Heiddeger, l'essence humaine doit être pensée à partir d'un emplacement totalement différent : pour lui, l'être humain est infiniment plus proche du divin que des autres êtres naturels. Un abîme irréductible le sépare par exemple des animaux. Heiddeger ne dit pas de quelle façon on pourrait faire une nouvelle expérience de l'essence humaine. Pour lui, la réalisation d'une telle expérience n'est pas à la portée des hommes qui peuvent uniquement se préparer, dans le silence, à ce qu'il appelle " la nouvelle révélation de l'être ".
L'intervention de Heiddeger clôt le dernier grand débat sur l'humanisme. Aujourd'hui, la perte de foi dans le " progrès ", qui marque la fin de la modernité et l'entrée dans l'époque post-moderne, a dépouillé l'image du XIXe siècle de sa brillante auréole . Aujourd'hui, il ne reste de l'image de l'être humain que l'aspect d'une " machine biologique ", c'est à dire d'une " chose " déterminée par sa conformation chimique - le patrimoine génétique - et par les stimuli arrivant du milieu environnant. C'est une image dans laquelle nous croyons tous, avec diverses nuances. Finalement, on a substitué au dieu chrétien un dieu bien plus mystérieux et énigmatique : le Hasard. Ce hasard qui, par des voies par définition imprévisibles, détermine les mutations de la matière et de sa forme particulière qu'est la vie et qui les livre ensuite à la dure nécessité des lois physiques. Dans cette dimension, il n'y a aucun espace pour la liberté et le choix, ni aucune possibilité de fonder un système de valeurs. Et la vie humaine, comme le monde entier, perd son sens et se transforme en un quotidien banal et opaque, en une course absurde vers la mort. Il ne me semble pas utile de m'appesantir sur ces aspects négatifs de la situation culturelle actuelle, car nombre de penseurs et d'artistes contemporains les ont déjà décrit avec soin et profondeur. Je voudrais juste mettre en évidence qu'une telle situation est nécessairement le prélude à une nouvelle " marée montante du nihilisme ", si on n'y apporte aucune correction.
C'est dans ce vide que naissent le Nouvel Humanisme et le Mouvement Humaniste qui en incarne les idéaux. Je clarifie tout de suite que le Nouvel Humanisme se définit et se présente comme un système d'idées, une idéologie. Cela semblera peut-être un peu rétro dans cette époque post-moderne où toute forme structurée d'idées est réduite à une simple " narration ", à un mythe individuel ou de groupe cachant une recherche de pouvoir. Nous ne sommes pas si naïfs pour croire que nos idées sont " scientifiques " et quelles représentent la réalité " objective " comme on le disait au siècle dernier. Nous nous emplaçons dans la tradition phénoménologique, et c'est pourquoi nous ne parlons pas d' " objectivité " mais d'interprétation, de projet. Le nouvel Humanisme est une interprétation générale de la situation de ce monde globalisé, et, un ensemble structuré de propositions pour sortir de la crise dans laquelle se débat notre civilisation. C'est un projet, une Utopie pour le nouveau millénaire, qui peut-être accepté ou rejeté, mais qui revendique pour lui-même une dignité au moins égale à celle qui est réservée aux mille propositions partielles que la frénésie pragmatique de cette époque nous présente chaque jour.
Le Mouvement Humaniste naît il y a trente ans grâce à un penseur latino-américain, Mario Rodriguez Cobos qui signe ses œuvres sous le pseudonyme de Silo. L'acte de lancement est un discours que Silo tient le 4 mai 1969 dans un coin perdu des Andes argentines et auquel assistent environ 500 personnes de différents pays d'Amérique latine. Le discours s'intitule " La guérison de la souffrance " et traite du thème du sens de la vie, de la souffrance mentale, de la violence, et des voies pour les dépasser. Ces trente dernières années, le Mouvement Humaniste s'est étendu et enraciné dans une cinquantaine de pays sur les cinq continents. Il a élaboré une image de l'être humain nouvelle, en opposition avec celle qui domine actuellement, et aussi une nouvelle idée de l'humanisme en cohérence avec le monde globalisé dans lequel nous vivons.
Silo a reconstruit une image de l'être humain. Cette reconstruction s'encadre dans le développement de la pensée du 20e siècle qui se pose en alternative au naturalisme : c'est la lignée de la phénoménologie et de l'existentialisme qui va de Husserl et Heidegger à Sartre. Pour Silo, la conscience humaine n'est pas un " reflet " passif ou déformé du monde naturel, ni un container de " faits psychiques " existants en soi ; la conscience humaine " transcende " le monde naturel, c'est à dire qu'elle constitue un phénomène radicalement différent de ce dernier. Elle est activité intentionnelle, activité incessante d'interprétation et de reconstruction du monde. Elle est donc fondamentalement pouvoir être, c'est à dire futur, dépassement de ce que le présent nous donne comme " fait ". C'est dans cette reconstruction du monde, dans cet élan vers le futur que réside la liberté constitutive de la conscience : liberté entre conditionnements, c'est à dire sous la pression du passé, mais liberté de toute façon. Dans l'interprétation naturaliste, la conscience humaine est à l'inverse fondamentalement passive et ancrée dans le passé : elle est le reflet du monde externe et son futur est une actualisation déterministe du passé. Cette interprétation, si elle se veut cohérente, ne laisse aucune place à la liberté humaine.
Pour Silo, par conséquent, bien que l'être humain participe du monde naturel par son corps, il n'est pas réductible à un simple phénomène naturel, il n'a pas de " nature ", il n'a pas une essence définie une fois pour toutes. Il est un " projet " de transformation du monde naturel et social et de lui-même. Si nous voulons vraiment le définir, nous pouvons dire tout au plus que " l'homme est l'être historique dont le mode d'action sociale transforme sa propre nature " . En effet, chaque être humain naît dans un monde qui n'est pas seulement naturel mais aussi historique et social, c'est à dire nettement humain, et où les objets sont tous chargés de sens, d'intentions, de finalités.
Mais d'où surgit cet élan qui anime cette activité de construction et de déconstruction que l'on appelle Histoire ?
Pour Silo, la racine de la dynamique historique est dans le combat des hommes contre la douleur physique et la souffrance mentale. La douleur concerne le corps ; elle est due à la nature hostile que l'homme combat avec le développement de la Science, ou elle est due à la violence avec laquelle certains hommes cherchent à annuler l'intentionnalité et la liberté des autres, en réduisant ceux-ci à des instruments de leur propres intentions, c'est à dire à des objets naturels, à des choses. La violence n'est pas seulement physique, mais peut aussi emprunter les voies de la discrimination raciale, sexuelle, religieuse, économique, qui, outre la douleur physique, génèrent la souffrance mentale.
Pour Silo, la violence physique n'est pas un fait " naturel " comme certains ethologues ont voulu le faire croire, mais le résultat d'intentions humaines. Elle est bien l'expression de la liberté qui constitue la conscience humaine. De la même manière, la violence économique, produite par les mécanismes légaux les plus variés et justifiée par les lois du marché, n'est pas un fait " naturel ", elle n'est pas la manifestation sur le plan humain de la lutte pour la survie du plus fort, qui selon certains naturalistes du 19e caractérise le monde animal. En économie et en politique, il n'existe pas de lois naturelles, seulement des intentions humaines. (A ce propos, on peut d'ailleurs faire remarquer que dans le monde animal, il n'existe pas que la lutte mais aussi la coopération ; et l'extension du Darwinisme à la sphère sociale n'a été possible que parce que l'être humain avait été précédemment réduit à un phénomène zoologique.) Pour Silo, si la violence et la discrimination sont l'expression d'intentions humaines, un acte libre d'opposition à celles-ci est également possible. Il est aussi possible de choisir entre le camps des oppresseurs et celui des opprimés, il est possible de choisir la solidarité, et un engagement de lutte pour une société plus juste et égalitaire.
Mais ni la justice sociale ni la science ne constituent un remède à la souffrance mentale qui surgit par les voies à travers lesquelles se constitue l'individualité humaine, c'est à dire la perception, le souvenir et l'imagination. On souffre quand on expérimente une situation contradictoire, on souffre pour ce que l'on a perdu, pour ce que l'on a pas obtenu ou que l'on ne pense pas obtenir, on souffre d'humiliation, de frustration, de honte, on souffre par peur de la maladie, de la vieillesse, de la mort. Face à la souffrance, face à la peur de la mort par exemple, l'homme moderne et l'homme d'il y a 5000 ans ne sont pas différents. Seul un sens de la vie renouvelé, dit Silo, seule une nouvelle spiritualité peuvent guérir la souffrance mentale. La recherche de la transcendance, la rébellion contre l'absurdité de l'existence que la mort semble imposer, ont un grand espace dans l'œuvre de Silo et dans le Nouvel Humanisme. Silo a toujours manifesté une foi absolue dans le fait que la mort physique ne met pas fin à l'existence, mais constitue un pas vers la transcendance immortelle. Toutefois, il ne demande à personne d'avoir foi en ses idées sur le divin et ne prétend pas non plus proposer une nouvelle religion avec rites et dogmes. Au contraire, il proclame pour tous la liberté de croire ou non en dieu et en l'immortalité. Il y a dans le Mouvement Humaniste des athées et des croyants de toutes religions. Comme le Bouddhisme, le Mouvement Humaniste offre des voies, des expériences à travers lesquelles chacun peut vérifier pour soi la véracité ou l'utilité de ce qui est dit.
Vaincre progressivement la douleur et la souffrance par le développement de la science, par la mise en place d'une société plus juste et par la reconquête du sens de la vie, c'est le projet humain collectif que le Mouvement humaniste propose pour le nouveau millénaire et qu'il appelle " Humanisation de la terre ".
Comme nous le disions, Silo reformule le concept d'humanisme en le plaçant dans une perspective historique globalisante, c'est à dire en harmonie avec l'époque actuelle qui voit surgir pour la première fois dans l'histoire humaine une société planétaire. Silo affirme que l'humanisme qui apparaît avec force à l'époque de la renaissance en revendiquant pour l'être humain centrisme et dignité, contrairement à la dévalorisation effectuée par le Moyen-âge chrétien, existait déjà dans d'autres cultures, comme dans l'Islam, en Inde, ou en Chine. Certes, on l'appelait d'une autre façon, puisque les paramètres culturels de référence étaient autres, mais néanmoins l'humanisme existait de façon implicite sous forme d'" attitude " et de " perspective face à la vie ". Dans cette conception, l'humanisme n'est plus un phénomène culturellement et géographiquement délimité ; ce n'est plus un fait européen, mais plutôt un phénomène qui a surgi et s'est développé dans différents points du monde et à différentes époques. C'est pourquoi il peut faire converger des cultures différentes, qui, sur cette planète unifiée par les moyens de communication de masse, sont désormais forcément et de façon conflictuelle en contact les unes avec les autres. Mais comment reconnaître les " moments humanistes " de cultures qui ont parfois une histoire millénaire. Pour Silo, de tels moments sont identifiables grâce aux indicateurs historiques suivants :
1. L'être humain occupe une position centrale en tant que valeur et préoccupation
2. On affirme l'égalité de tous les êtres humains
3. On reconnaît et on valorise les diversités personnelles et culturelles
4. On tend à développer la connaissance au delà de ce qui est accepté comme vérité absolue
5. On affirme la liberté d'idées et de croyances
6. On rejette la violence
L'humanisme, défini par cette attitude et perspective de vie personnelle et collective, n'est donc pas le patrimoine d'une culture spécifique, mais celui de toutes les grandes cultures de la terre Et en ce sens, il se présente comme un humanisme universel. En faisant appel aux moments humanistes existants dans leur histoire, les grandes cultures qui aujourd'hui s'affrontent peuvent construire ensemble ce grand rêve que le Mouvement Humaniste appelle la Nation Humaine Universelle.

J'ai terminé. Merci de votre attention.
À tous : Paix, Force et Joie.

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